Francis Bacon à la Tate Britain

Publié le par Qalawun

C'était un jour de soleil. Encore une mauvaise farce. Histoire de nous rappeler comment l'hiver va être rude. Tout le monde était de sortie aujourd'hui. Mes vêtements ont séché rapidement, ma chambre est orienté plein sud. Oui, j'ai mis mes vêtements à sécher dans ma chambre! Justement parce qu'elle est très bien exposée. Il faudra que je repasse. C'est une autre paire de manches. Pour ne pas faire de mauvais jeu de mots. 13h30. Richie et moi avons décidé d'aller voir l'exposition Francis Bacon à la Tate Britain. Métro puis bus. Oxford circus. La Victoria line est fermée parce que c'est dimanche. Ou non, parce qu'ils font des travaux. Payer si cher pour que ça soit si souvent fermé me dit Richie. Bus, Westminster, the Eye, on marche sous les grands arbres de Parliament House. La Tate.

Study after Velazquez's Portrait of Pope Innocent X
Francis Bacon, 1953, oil on canvas, 153x118
Des Moines Art Center


Je ne paie pas les 12,50 pounds de l'entrée. Richie est membre donc je rentre gratis. Un monde fou. Je ne connais pas Bacon, tout juste ai-je reconnu la peinture qui a servi à faire l'affiche de l'exposition. Celle-ci est organisée chronologiquement. Les explications sont minimalistes, comme à l'habitude. Un texte par salle, il y en a dix et un cartel détaillé pour l'oeuvre principale de chaque pièce. Bien sûr, libre à vous de louer un audioguide, en plus du billet d'entrée. Je suis évidemment marqué par la noirceur des premières peintures. Des hommes dans des cages, sombres. Des animaux contorsionnés, des barreaux, sans ciel, des enfermements. Un sujet, toujours au centre de la peinture dans une sorte de néant d'un noir abyssal. Même ses verts et bruns sont sans fond. Chaque peinture a sa figure, unique, centrale, simple, focale et vibrante. Quand bien même les boursouflures, les angles, les tensions, les amas de chair agglutinée, si l'oeil ne décrypte pas immédiatement la forme et ce qu'elle dit, si l'ensemble paraît désordonné, tout a pourtant sa raison, son enchaînement logique et même sa beauté. Effectivement, l'homme est un animal comme les autres. Le triptyque Crucifixion nous donne à voir une chair éclatée comme le boeuf écorché de Rembrandt. Mais il conserve des élements humains. Des bras notamment.

Tate Britain, un sprinter

J'ai aimé les figures d'hommes, seuls ou à deux, dans leurs univers carcéraux et isolés, Man in Blue. Deux figures mâles enlacées, aux visages disparus, lavés, dont ne subsistent qu'une machoire agressive, regardent le spectateur. Du drap blanc étendu sur l'espace noir, elles semblent prêtes à bondir. Mal à l'aise. Malgré le monde. Les portraits d'après le portrait d'Innocent X par Velasquez ne rassurent pas. Sur Head VI, 1949, seuls la chasuble violine et la machoire blanche du pape émergent du fin cube blanc posé sur la toile noircie. Le personnage, emprisonné dans son cube, comme cloué à son siège papal, crie. Hurle, plutôt. Passés la noirceur, passées les chairs répandues, il y a la salle des archives : des photographies de la guerre d'Algérie, du Vietnam, des photographies de traités médicaux, radios, les recueils de photos de Muybridge qui décomposent les mouvements humains et animaux, les Demoiselles d'Avignon, Lucian Freud et Michelange. Son compagnon et ami, George Dyer, devient son modèle, ou l'inverse, et vice-versa. Des triptyques beaucoup plus colorés viennent alors, du rose, du brun.  On respire enfin. Mais l'isolement de chaque peinture reste intact. Celles des triptyques notamment, malgré leur juxtaposition aucune ne parle à l'autre si ce n'est par la continuité d'une ligne de fond. George Dyer se suicide quelques jours avant l'exposition de Bacon au Grand Palais, en 1971. Il en fera un tryptique hommage, où l'homme s'efface en une coulure rose. On ne sort pas de là indemne. Non pas parce que ces tableaux sont sanguinolents et souvent morbides (voir le portrait d'un enfant handicapé). Mais parce que chaque peinture parle à notre propre solitude, nous renvoie à une bestialité enfouie, celle qu'on ne partage pas, aux tensions sexuelles aussi bien qu'aux pulsions de mort. Man with dog. On ne voit que le chien, le museau attiré par une bouche d'égoût, encore une grille, prison, une laisse faite de pointillés blancs remontent vers une main qui n'est pas visible. La laisse est coupée par une ligne noire. Du maitre on ne voit que les pieds. Ligne déclive, on plonge tous avec le chien dans l'égoût. Il n'a rien de l'animal fidèle et c'est bien la solitude de l'homme, une ombre dévorante, qui nous est donnée à voir. Beaucoup des peintures sont des entre-mondes avec toutes ces portes entr'ouvertes sur le noir et ces figures moitié dans le vide, moitié avec nous. Il y a de la beauté dans sa peinture, dans les formes et les couleurs. Dans tout, donc.

Jerusalem Day 08, Trafalgar squareTrafalgar Square, Jerusalem Day

En sortant de l'exposition, toujours dans la Tate, on croise un spinter dans la grande galerie. Puis un autre, puis un troisième. Je finis par sortir l'appareil photo. On dirait que les gardiens sont impuissants à les arrêter. Ils s'élancent toutes les minutes de l'entrée du musée pour courir jusqu'au fond de la galerie et disparaitre dans les salles. C'est drôle. On marche. Trafalgar Square.



Aujourd'hui ça devait être le Jerusalem Day car Trafalgar square était plein de militants. Cette manifestation a lieu tous les ans, un peu partout dans le monde, théoriquement pour s'opposer à l'occupation israélienne de Jérusalem-est. J'étais surpris de voir qu'aujourd'hui, sur la base de la colonne Nelson, des rabbins avec des pancartes au cou "Zionism is not Judaism" étaient venus crier leur haine de l'Etat d'Israël au milieu d'une foule de gens dont certains tout aussi excités : We are all Hezbollah. Propagande aussi inepte qu'elle est efficace pour ceux qui ne voient ce conflit que de très loin. Sur les pancartes, des bébés tués dans les raids, des civils morts sous les bombes, etc, et des slogans contre Israël. La présence de ces juifs religieux dans ce type de meeting est justifié par le fait qu'une frange d'ultra-orhodoxes juifs estiment que le retour d'Israël sur sa terre ne peut être que le fait de Dieu et pas le résultat d'une entreprise humaine. Le jour de Jérusalem à Londres était donc l'occasion d'une réunion de fans du Hezbollah, de fans de l'Iran et de quelques porteurs de drapeaux palestiniens. Quelques keffiehs, mais aucun drapeau de mouvement palestinien. Pas même les fanions jaunes du très respectable Fatah. Je ne parle bien sûr pas du Hamas qui est considéré comme terroriste en Europe. Un amalgame assez bizarre donc, d'Arabes et d'Iraniens criant leur haine de l'opression en nous disant tous du Hezbollah en brandissant des pancartes sanguinolentes, mais sans véritable référence à la Palestine. Une sorte de réunion anti-sioniste plus qu'un meeting pro-palestinien. L'ennemi commun, plus qu'une véritable empathie pour les Palestiniens, semblaient réellement la raison de cette grande réunion.

Jerusalem Day 2008, Trafalgar Square

Voir un ultra-orthodoxe, haredim, rabbin, aux côtés d'un drapeau palestinien, d'un drapeau du Hezbollah et d'un drapeau iranien, c'est assez étonnant. Surtout lorsque le rabbi prend la parole avec des jeunes qui agitent les drapeaux à ses côtés. Londres est improbable. Bref, ce meeting était un grand n'importe quoi, l'occasion de rassembler sous la bannière de l'islam des opposants à Israël. Ce n'est pas la bonne bannière.




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D
... J'ai découvert ton site presque à tes débuts en Israël... j'y retourne, et il y a quelque chose de changé, un ton, un regard ; peut-être par ton éloignement, par ton israélien, par tes rencontres, par ta vie là-bas...  
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P
Juste pour ajouter que l'organisation de ce Jerusalem Day, à la fin du Ramadan, est à l'initiative de l'ayatollah Khomeiny... Ce qui donnait déjà la couleur de la manifestation...
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