Art in a Material World

Publié le par Qalawun

Parfois je n'ai pas envie. Pas envie de manger ou d'écrire. Pas envie de niquer ou d'aller travailler. Pas envie de réfléchir et pas envie de m'endormir. Même pas envie de sortir. Heureusement, tout ça n'arrive pas en même temps sinon je serais en dépression.

Le temps passe. Tic tac. J'ai 28 ans, un homme et un boulot que j'aime. Je ne suis pas vraiment ce qu'on appelle bien payé et ai presque du mal à boucler les fins de mois parce qu'il faut payer les études de mon Israélien. Ici, les études coûtent très cher. Je viens de réaliser la naissance d'une frustration. Je suis frustré de travailler dans une maison de vente où je ne peux rien acheter de ce qui me passe sous les yeux ou entre les mains. L'art a un prix, je le sais plus que n'importe quel banal visiteur de musée. Les chefs-d'oeuvres s'achètent; ils peuvent être payés en espèces, sonnantes et trébuchantes. Vingt-deux millions pour un Rembrandt, vingt-neuf millions pour un dessin de Raphaël, un million pour une carte ottomane de la Méditerranée. Aller au musée c'est passer mon après-midi à vouloir estimer ce qui pend aux cimaises, bien que je ne sois pas un spécialiste de Beaux-Arts, ou vouloir prendre en main, toucher, peser les objets. Ah tiens, celui-ci a tant de repeints. Le vernis cache beaucoup trop la restauration. Intact, ce bol vaut au moins £30,000-40,000. Cet objet est un faux.

Lorsque j'étais étudiant en histoire de l'Art à l'Ecole du Louvre, aller au musée c'était passer sa journée à dater, commenter, étudier la composition d'un tableau ou décrypter l'iconographie d'une scène. Fatigant, à parfois en oublier ce que nous regardions. Oeuvres phares, jalons de l'histoire d'un mouvement, incontournables de l'histoire de l'art, apprendre, tenter de comprendre, passer au mouvement suivant, toutes ces oeuvres, des milliers d'images vues et mémorisées dans le but d'être recrachées en commentaire lors des quelque 40 minutes de l'épreuve dite "de clichés". On plaquait alors un discours tout fait sur l'oeuvre qui apparaissait à l'écran. Quatre clichés, 10 minutes par cliché. Titre, datation, lieu de conservation, description, commentaire, oeuvres comparables, etc. Peu de place à l'émotion là dedans. Aucune même. L'histoire de l'art n'est pas plus qu'une autre une matière pour gens sensibles. Bien que se soient succédé sur les bancs des grands amphithéâtres du Louvre un nombre incalculable de pédés et de jeunes filles de bonne famille, oies blanches toutes pénétrées par cet Art étudié en classe. 

Mon métier de spécialiste, c'est de donner un prix à l'art. Non, pas le Grand Art: je ne suis pas spécialiste de Beaux-Arts. Peut-être suis-je un spécialiste au rabais, d'un art mineur, rattaché aux Antiquités où aux arts orientaux? On pourrait dire. Mais non. L'Art de l'Islam a gagné ses galons, assez récemment d'ailleurs. Il faudrait développer mais j'en suis incapable. Mon métier donc. Donner un prix à une potiche du 12ème siècle, pour parler crûment. Ou à un Coran écrit au 8ème siècle en lettres d'or sur un parchemin teinté bleu nuit. Voir juste. Evaluer le prix correct de "choses" parfois jamais mises à prix. Savoir ce que vous, moi ou les riches serions prêts à payer pour l'obtenir. Chiffrer l'intérêt des acheteurs potentiels, calculer l'avantage qu'ils retireront de cet achat. Conquérir ou renforcer un prestige social, s'approprier le beau, faire un placement financier, assouvir un plaisir esthétique, des raisons différentes que je dois encourager, développer, transformer en bids, en enchères, au moment de la vente. Ces objets d'art que l'on vend ne sont-ils plus que des objets? Ils sont les deux. Des objets que l'on peut estimer, casser, voler, étudier, comprendre, et de l'Art, beaux, sources et vecteurs d'émotions, irremplaçables et uniques.
 
L'avantage de l'art dépecé, par l'oeil de l'expert ou de l'étudiant, c'est qu'il s'adresse alors au spectateur à travers ses deux valeurs, matérielle et immatérielle. L'objet de musée est trop longtemps resté cantonné dans sa vitrine, sur son mur, posé là et affublé d'un cartel qu'on se doit de lire benoîtement. L'objet de musée est parfait, incontestable, toujours vrai, toujours Beau, toujours justifié, rendu tel par sa place dans le musée. L'art mis en vente ou décrypté par le regard de l'étudiant nous ramène l'objet dans le monde des hommes. Sa valeur marchande nous rappelle ses imperfections, son état en tant qu'objet, son histoire, nous informe instantanément du Goût du moment. Le marché, malgré ses horribles défauts, ramène en quelque sorte l'art à la vie. C'est pour ça que j'aime mon métier. 


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J'étais là cet après-midi, une très bonne expo surtout quand il y a personne.

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E
Votre blog n'est plus tenu à jour et donc peut être ne lirez-vous pas ce que j’écris. Ça fait quelque jour que je veux lire mais lorsque je tiens le livre dans mes mains l'envie de le reposer est immédiate, et vous écrivez si bien et pour dire des choses si intéressantes qu'avec vous c'est plus facile. Donc je vous remercie.
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S
<br /> Hello. Juste pour te souhaiter bonne annee, amour, gloire et beauté.<br /> <br /> <br />
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S
<br /> Salut R. C'est la quille pour moi, le début des vacances. Passe de bonnes fêtes pour retrouver le goût d'avoir foultitude d'envies à la rentrée. A+<br /> <br /> <br />
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F
<br /> Il y a également l'expo "Decode -  a design sensation" au V&A qui est très sympa, non-gratuite(!) et un peu serrée mais faire de l'art avec les nouvelles technologies ça méritait un peu<br /> plus d'espace... je la recommande néanmoins!<br /> <br /> <br />
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S
<br /> Non. Et j'ai eu beau décortiquer les listes mail de IN et OFF, je n'ai pas trouvé ton adresse. Tu as la mienne. Fais moi signe. A+<br /> <br /> <br />
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