Et face au rez-de-jardin, le canapé
C'est comme réaliser qu'un jour on peut mourir. Un nuage qui se perce et c'est la chute. Nous étions assis près d'un de ces tapis roulants qui vous servent des sushis. Plats roses, mauves et verts. Une soupe miso ? Assis là, la table en formica, les baguettes à séparer, le bec verseur d'eau gazeuse - ou plate. Comme on peut détester ces restaurants standardisés. C'est là qu'il le prononce, l'horrible mot, en deux syllabes empoisonnées.
En-nui. Ennui.
Mon estomac se retourne, la nouille s'arrête, je casse ma baguette. Ou presque. Le bonheur tranquille, l'assoupissement du couple, l'hydre tapie dans le creux du canapé, sous le coussin où nos têtes se posent pour regarder les longues heures jouées par l'iPlayer. Aux Armes citoyens! Sauvons la ménagère! Notre vie sociale réduite à sa portion congrue. Le couple porte sa propre mort. Moi qui n'ai que trente ans, déjà vieux. Mes discours millénaristes, mon angoisse blanche des pôles qui fondent, moi qui vis à mon bureau et qui y perd sans doute ma vie, petit à petit. Battons-nous, survivons à l'ennui. Je dois réfléchir. Moi qui pensais être à tout suffisant, mon sourire, mon long nez et mes bras, protégeant mon bonheur face à mon rez-de-jardin. Blousé. La mort douce du canapé.
Dimanche. Ca va mieux. Loin les angoisses du suchi, des heures seul et de l'hydre ennuyée. Grand mât de hune sur rez-de-jardin. La vigie veille. Je t'aime.