La pâque juive

Publié le par Qalawun

Tags : Israël Pâque juive

Il pousse la porte sans frapper. Elle est ouverte. Je suis derrière lui, sur le palier. A peine le temps de souffler, le temps de sortir de l'ascenseur qu'on est déjà entrés dans l'appartement, trop lumineux. J'aperçois le père, encore en peignoir, deux petits garçons pris dans les pattes d'un grand homme, le grand frère. Je rentre, en troisième, après mon Israélien et une copine qui a bien voulu assister à mon premier dîner avec mes "beaux-parents". C'est Pessach, la pâque juive. Et ce soir, c'est le seder, le principal repas de la semaine de fête. La mère, Sarah, est là, les mains prises par sa cuisine. On s'embrasse. A gauche de l'entrée, le salon et une tripotée de gamins. Leurs parents nous regardent, intrigués. On fait le tour des bonjours. Un petit mec est marié avec la soeur de mon homme. Il a l'air plutôt frêle à côté d'elle. Ca braille donc dans tous les sens. On nous assoit. Mon Israélien nous occupe avec une part de gateau
à la crème et au chocolat. Il est 20h30 alors pourquoi pas du gâteau au chocolat ? "C'est moi qui l'ai fait" me dit-il. On mange, docilement.

Le père arrive. Il s'est habillé. Un petit monsieur avec un tête sympathique. Nous nous étions salués, une fois, rapidement, pour la circoncision d'un neveu. Il m'a l'air plus avenant cette fois là. C'est un jeune grand-père de sept petits enfants. Bonjour courtois. Bonjour plus appuyé avec ma copine, particulièrement élégante ce soir. Je ne sais pas trop où me mettre. Toute cette famille, ces cris de gamins, l'affairement de la maman, la carure imposante d'un des frères. Je reste assis sur ma chaise avec un verre d'eau et mon gâteau au chocolat, attendant que mon "Hamoudi" veuille bien se rapprocher de moi. "Hamoudi", c'est un mot interdit ce soir. Si je l'appelle "Hamoudi" - mon mignon -, je nous grille tous les deux en tant que couple. La famille ne sait pas ; même si cela fait plus d'un an que ça dure. Bref, je n'échappe que deux "Hamoudi" pendant la soirée que personne, je crois, n'entend.

La pâque juive célèbre la libération des Hébreux du joug des Egyptiens.  Pendant le dîner, il faut lire la haggadah. Une cinquantaine de pages de texte racontant la sortie d'Egypte, la manne, les plaies, etc. "Dis à ton fils" ; raconte la sortie d'Egypte, telle est l'injonction. Il a fallu trouver une haggadah qui soit traduite en anglais, pour qu'on puisse suivre l'heure de lecture. Tous assis, des verres et des plats sur la table. On ouvre plusieurs bouteilles de vin, on remplit. Un vacarme assourdissant de cris d'enfants, de discussions avec son voisin de table, de bruits de couverts alors qu'on ne mange pas encore. On est 17 à table. Tour à tour, ils vont lire des pages du livre, tous ensemble, un par un, deux par deux. De temps en temps, le père assis en bout de table interpelle un des gamins pour qu'il lise à voix haute. Avec ma lecture hésitante, je suis tant bien que mal les pages qui défilent. Je tente de lire parallèlement la traduction. C'est dans un anglais biblique incompréhensible avec des thou partout. Peu importe, je les regarde. On boit le premier verre de vin. Qu'il faut tenir dans la main droite puis, cul sec, engloutir. On en boira quatre.

La laitue et la pâte de dattes, la plante amère au vinaigre qui vous donne le goût de la servitude, la mitza sans levain, l'épaule de mouton brandie dont il faut que chacun détache un morceau de chair pour l'avaler. Les 4 fils, les 4 verres de vin, les questions, les 10 plaies, des chiffres, des chiffres... L'histoire est passionante mais je n'en pige pas le quart. On boit encore et encore. Sarah, la mère, lit un passage. Je trouve qu'elle, dont les parents venaient des Balkans et de Turquie, a un drôle d'accent quand elle parle hébreu. On s'en fout plein la panse, elle nous gave. Le père nous gave de nourriture - poivrons, artichauts farcis, dinde aux pruneaux, foie, salades. Le frère, Ben, imposant, qui ressemble beaucoup à mon Israélien, nous remplit sans cesse nos verres. Arak, jus de citron. Un délice. Nous sommes saoûls.

Shlomo, le père, nous raconte son arrivée en Israël dans son français marocain rouillé, pourtant sa langue natale. Il a deux ans quand ses parents espagnols quittent le Maroc pour Israël, en 1950.
Mais déçus de leur expérience israélienne, ses parents n'ont jamais pu revenir vers le Maroc et quitter Israël;  le gouvernement israélien leur avait confisqué leurs documents à l'arrivée à Haifa. Que ne faut-il pas faire pour construire un pays...

Le dîner progresse. Le vin a été mêlé à l'eau. Je me demande si cela évoque le Nil changé en sang. J'ai un peu de mal à me faire à ma lourde kippa blanche. C'est alors qu'un coup de tête maladroit provoque la catastrophe. Je sens la kippa glisser de ma tête. Comme la tartine qui tombe toujours du mauvais sens, la kippa de satin blanc vient s'écraser mollement dans mon plat en sauce. Elle a juste la taille du rond intérieur de l'assiette qu'elle recouvre joliment. Honte. Tout le monde rit. Un coup d'arak et tout sera oublié. Les pères fument allègrement, mon Israélien, Sarah, Merav, tout ce petit monde fume au milieu des enfants. Tout juste s'écartent-ils de Ravital qui tient dans ses bras la dernière née de David. Elle a une semaine.

Les enfants vont maintenant chercher l'afikoman, le pain mitza qui a été caché pendant le repas. C'est un peu comme nos oeufs de Pâques. Celui qui le trouve toppe un cadeau. Le petit Tomer, aidé par son père, rapporte l'afikoman que tout le monde se partage. Tous les gamins ont des cadeaux. Shiraz, une des filles qui n'arrêtent pas de nous faire des yeux doux - elle a huit ans - et veut danser. Le repas est presque fini. On chante les chansons de pessach, les 2 tables, les 3 patriarches, les 4 mères, les 5 livres de la Bible, les 6... les 11 astres, les 12 tribus, etc. Et ma préférée, Had Gadia. C'est une chanson à accumulation qui, selon certains exégètes, évoque l'histoire d'Israël. A connaitre. On reboit mais  menaçons désormais d'exploser. J'ai réussi à ne pas regarder mon Israélien avec des yeux doux qui nous auraient trahis.

C'est l'heure des photos. Depuis plus d'un quart d'heure Beni mitraille les gamins et leurs parents. La mère s'approche de moi. Elle prend mon bras et me le passe autour de son cou pour la photo. Sans mot dire. Je ne parle pas beaucoup hébreu. Elle ne parle ni anglais ni français. Ce geste est étrange. Reconnaissance de l'importance que je peux avoir pour son fils ou simple marque de sympathie. Femme affairée, fumeuse, âgée et marquée, Sarah m'intrigue. Les hommes vont s'assoir au salon. Le père met de la musique arabe marocaine très fort alors que la porte d'entrée était restée ouverte au cas où le prophète Eliahu revienne du ciel où il a disparu. Les femmes, Sarah et Merav, vident l'immense table et ses dizaines de plats. On a mangé comme une armée. La table est poussée avec les chaisent, les nappes vite pliées, l'eau est jetée sur le sol. Serpillère. Je regarde l'énorme bouquet de roses blanches que mon Israélien a acheté à sa mère. Elle est contente je crois.

On dit au revoir. "C'était délicieux" dis-je dans mon hébreu approximatif. J'ai aimé ses frères, même si je ne leurs ai pas beaucoup parlé. On a surtout bu. Je pense qu'ils se doutent de notre couple. Même si le père a demandé si l'amie avec qui je suis venue était ma "petite amie", je suis sûr qu'au fond d'eux, ils flairent le truc louche.

Dans la voiture, Bach, j'ai trop mangé.

Publié dans Jour après jour

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F
"Riveting"...
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B
Merci.
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