Le mariage arménien

Publié le par Qalawun

Tags : Jerusalem Arménien Musique
 
 
Je suis retombé sur la BO de la double vie de Véronique, le film de Kieslowski. Ma copine et moi, quand on avait dix ou douze ans, on aimait bien la musique qu'on écoutait dans son chalet des Alpes. Je me souviens du cd jaune et noir. C'est une sorte de classique mystique, tire-au-larme, peut-être un peu trop facile, mais émouvant et on se laisse prendre par cette voix cristalline et haut perchée. Que d'habitude je n'affectionne pas particulièrement. En résumé, j'adore. Il faut écouter la version où sa voix ne déraille pas. En plus on dirait que c'est fait à l'ordi... C'est la scène où Weronika meurt sur scène. On comprend le pathos volontairement accentué. Van den Budenmayer, le compositeur, est fictif. N'a jamais existé. J'aime bien ce concept à la Nicolas Bourbaki. Inventé pour les films de Kieslowski, l'illustre musicien n'a composé que trois partitions. Merci wikipedia pour ces informations (wikipedia est-elle bonne pour l'internaute ?). Peu importe la musique polonaise - on connaît son génie - je voulais évoquer mon mariage arménien.


J'ai été chercher des clopes. Et comme j'ai bien mangé à l'iftar où je suis allé, je m'accorde un verre de genépi de Chambéry.

Le dimanche à Bamako, c'est le jour du mariage. A Jérusalem aussi, en tous cas dans le quartier arménien. Ce quartier est l'un des quatre de la vieille ville, avec le musulman, l'orthodoxe et le juif. Une partie du quartier arménien est une enceinte close, où doivent vivre quelques milliers de personnes. On ne rentre que si l'on est arménien ou que l'on est introduit par un membre de la communauté. On passe la porte de l'enceinte, précédés par trois mamies endimanchées. Le garde nous laisse passer, non sans un regard insistant. Passée l'entrée en chicane, au dessus de la foule de la grande cour, sur le haut toit du monastère, flotte le drapeau arménien. Bleu comme le ciel, orange comme la terre et rouge comme le sang des Arméniens. En cercles concentriques, les invités tournent autour du plus petit des cercles. Une énorme jarre de terre cuite est passée de personne en personne. Une colombe y est enfermée. On la libère. La jarre, lancée en l'air, se fracasse sur le sol. La cérémonie va commencer. 

Je détaille un peu plus la foule. Beaucoup de femmes, jeunes et moins jeunes. Petites. Loin des grands-mères orientales, ce sont de jeunes poules qui jouent à celle qui aura la robe la plus courte. Je vois Kayaneh la jolie, perchée sur ses talons. Sa robe est la plus courte. Avec son appareil dentaire, elle doit avoir le sourire le plus carnassier des demoiselles du quartier. Pas mariée Kayaneh, pas encore. Le mariage est l'occasion de se montrer. De montrer ses qualités. De grosses dondons en robe léopard se congratulent sur leurs progénitures respectives. Il y en a une qui me dépasse presque d'une tête. Au moins cent kilos. Tout ce monde me rappelle la mère de ma tante. Une Arménienne d'Issy-les-Moulineaux immigrée en France il y a si longtemps. Petite dame rieuse et brune. Les hommes sont forts. J'ai l'impression de me retrouver dans le Caucase, dans les Balkans, dans tous ces pays qu'on ne sait jamais vraiment om placer. Où les gens sentent fort et où l'on joue de l'accordéon. Un peu comme dans les récits de Nicolas Bouvier. Bref, je sais où est l'Arménie.

Les dizaines de personnes descendent vers l'église. Une toute petite église perdue au fond d'escaliers sans fin. Je regarde par la fenêtre en attendant de rentrer. Les mariés sont déjà là, devant trois prêtres. Ils sont gros et vieux. Barbus. Ils ont ce chapeau conique caractéristique qui évoque la cime du mont Ararat. Noir et pourpre. Broderies lourdes si bien qu'un aide porte une partie de la soutane. Le frère du marié brandit une croix vers le visage des époux pendant que les prêtres lisent des passages de la Bible. On rentre dans l'Eglise. Là, aucun banc. Deux petits collatéraux de part et d'autre d'une nef qui doit faire trois mètres de large. Sur une estrade, un bon mètre au dessus des fidèles, sept prêtres sont là. Autant de prêtres... c'est beaucoup. Ils ont l'air de gros rongeurs assoupis sous leur mont Ararat. Ils s'assoient, se lèvent et se rassoient. Et là, ils chantent. Un des plus jeunes à un côté bestial. Apprivoisé. Beau comme un dieu... Sa barbe noire et bien coupée, sa soutane ajustée. Terriblement aphrodisiaque. Les histoires de notre ami arménien, le frère du marié, montrent que rien n'est inviolable, même le sacrement des prêtres... Ils chantent à tour de rôle en arménien. Je comprends à peine les ââââmîîîn - amen. Ca ne sent pas l'encens comme dans les mythes orientalistes. Ca ne sent même pas la cire consumée du Saint-Sépulcre. Ca sent la moiteur dégoulinante des murs de vieilles pierres. Les parfums mêlés des invités et ma chemise qui a mal séché. Les mariés restent front contre front pendant les quarante minutes que dure la cérémonie. Le frère tient toujours sa croix levée face aux époux. Bénédiction. Dans l'assemblée, les gens parlent et bougent. Pas de sacralité du silence. Leur rite est étrange. Ces grosses masses de prêtres empesés sous leurs étoles, leurs manipules et panaguié semblent s'éteindre une fois qu'ils se posent. Ils ont d'énormes têtes ceinturées de soie noire. La barbe ressort, proéminente. Des broderies d'Arménie, de l'or en barre autour du cou, une crosse imposante, et des icônes que je t'en baise en veux-tu en voilà. C'est surtout qu'ils sont très hauts, perchés sur leur estrade. A aucun moment le prêtre ne touchera les mariés. Une fois sorti et désencapuché, le prêtre principal,
appelons-le comme ça, Patriarche ou Catholicos, rigolera de bon coeur avec la mère du marié. Rendu vivant sans son costume.

La fête se passe à Talpiot, dans une kitschissime salle louée pour l'occasion. 350 convives. Une grue pour déplacer la caméra. On boit, on mange, on rit. Je fais la connaissance d'un anglo-israélien juif, charmant, dont je comprends l'accent britannique. Il me demande si les communications passent du Liban vers Israël. Je lui réponds que non. Pinhas, c'est son nom. On le raccompagne. Ca parle arabe, arménien. Et presque pas hébreu. Que c'est bon ce mariage. On danse en écoutant un célèbre chanteur à l'atroce coupe de cheveux. Ca rappelle la coupe "méduse" des Inconnus. J'étais heureux d'être là, ce dimanche arménien.

Publié dans Jour après jour

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S
C'est drôle de tomber sur cet article... Kayané, la belle, mon amie d'enfance qui était à Paris il y a peu de temps! toujours avec son appareil... et puis la vidéo! Harout et Pauline! merci !
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N
Et le quartier arménien vous a t il plu ?et les arméniens se ne sont pas ces orientaux ? Je croyais moi et je croyais qu'ils utilisaient de l'encens aussi bah j'ai du me trompé en tout ca ca avait l'air d'etre bien
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