Congolaises III - Migration pendulaire à Kinshasa

Publié le par Qalawun

Ce n'est pas vraiment un pays à terre. C'est un pays à terre qui régresse. Voilà ce qui ressort d'une soirée de discussion. Petite et grande corruption généralisée, liens sociaux brisés, pauvreté inimaginable. J'ai encore dans la tête ces colonnes de Kinois, des centaines, des milliers d'hommes et de femmes, quittant la Ville pour la Cité. La Ville, c'est la ville coloniale belge, ce qu'il en reste aujourd'hui. La Cité, c'est ce qu'il y a autour et où vivent les 10 millions de Kinois. J'ai entendu que du temps des Belges la Ville - blanche - était séparée du reste par un mur. Un système de laisser-passer permettait aux Congolais d'y accéder. Apartheid qui ne dit pas son nom. Le travail forcé ne s'arrêtera qu'en 1945 !? Régime colonial dur parmi les durs.

 

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Nous visitons le parc du mont Ngaliema, un ancien domaine présidentiel de Mobutu. Il faut payer quelques dollars aux militaires qui gardent le site. Le parc surplombe l'immense fleuve et le Pool Malebo, au loin Brazaville. A l'intérieur, d'immenses manguiers font pleuvoir, d'ennui sans doute, sur les allées zébrées leurs mangues trop mûres. De vieilles cages d'acier éventrées abritaient la ménagerie de Mobutu. Fers rouillés. La statue de Stanley gît dans un coin, brisée aux pieds.

 

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Une autre, encore plus monumentale, équestre, du roi Léopold, fascinante, terrifiante, dont le but unique devait être d'impressioner la population locale, a été mise au milieu du parking. Nous rentrons dans un petit musée. Une grosse guide nous fait la visite. Elle est assistée d'un assistant - ! - photophore... Il doit éclairer les vitrines à la lampe-torche car il n'y a pas d'électricité. On se promène sous les manguiers, vers le cimetière des Pionniers. Une centaine de croix blanches dressées sur un espace en terrasse. Et des noms. Des croix sont au sol. C'est un endroit plutôt triste, interdit au commun des citoyens pendant la dictature de Mobutu. Je me rappelle l'histoire d'un des gardiens des fauves, du parc, sous-payé, qui parcequ'il crevait la dalle s'était dit que récupérer le quartier de viande jeté aux lions présidentiels était une bonne idée. Les lions s'en sont longtemps léché les babines...

 

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Plus tard. Il est 17 heures. L'heure où débute la grande migration. Nous rentrons d'une escapade en banlieue. Je me réveille d'une courte sieste dans la voiture. Une armée de marcheurs nous fait face sur la route. Comme des milliers d'homme-s qui marche-nt de Giacometti. De pauvres hommes qui marchent. Ils quittent, simplement, la ville pour retourner au quartier - bidonville informe souvent, où bien l'une de ces belles cités planifiées des années 1950 desquelles ne subsistent que les fers à béton hérissés sur des murs croûlant. Entre eux, le bel alignement des rues rectilignes.  Le Bis (sic) - Taxibus déglingué qui fait office de réseau de transport en commun - pour rentrer à la Cité coûte entre 400 et 1,500 francs congolais par trajet (de 0.4 à 1.4 dollars). Si ces gens marchent c'est qu'ils ne peuvent pas payer le bis.   

 

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Des milliers de silhouettes colorées, résignées. Je me retourne dans la voiture pour ne voir que des dos, des milliers de dos. Un pas tranquille et continu, presque inconscient et automatique. Vision extraordinaire, plus terrifiante encore que nos RER bondés. Image pure de la migration pendulaire, quand le dortoir n'offre qu'un lit à peine et qu'il faut chercher sa bouffe ailleurs. La douce chaleur du soir monte des façades vibrantes des échoppes qui vendent l'invendable, le rebus, la pièce détachée, le médicament en pilule à l'unité, le pneu de troisième main. Les innombrables églises populaires se frottent les mains de la chaleur de cette rue. Un rien suffit pour créer une allée triomphale à cette colonne de pauvres. L'alignement infini de ces barraques sans étage, peinturlurées comme pour un carnaval, nous propulse jusqu'à la ville. Là tout n'est qu'ordre et beauté, luxe, calme et volupté.

 

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Publié dans Jour après jour

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S
<br /> <br /> Salut R. Content de te relire, après un si long silence. Toujours un style remarquable. Meilleurs voeux.<br /> <br /> <br /> <br />
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