Heureux, a moitie

Publié le par Qalawun

Un soir plus tard. Je viens de trouver mon troisième colocataire. Un franco-jordanien. Un mec visiblement très bien. Grâce à un coup de fil il sait. Que je suis homo-sexuel. Alhamdulillah ça ne pose pas de problème. Visiblement. Il a beaucoup d’amis homosexuels me dit-il… Justification ? Mais, je ne suis pas raciste, j’ai un bon ami qui est noir ! On ne sait jamais vraiment comment les « gens » vont réagir. Suite à un coup de fil un peu long, avec Lucifer, il me demande : et toi ? Tu as une copine ? Hu hu. Non, moi, je comptais t’en parler, je suis… homo. Ah me dit-il. Je m’en doutais, il ajoute. Je me demande bien comment. A cause de mon petit bracelet blanc ONE.org, de mon polo rayé près du corps, de mon nouveau panneau décoratif dans ma chambre avec le flyer de l’Under et son beau mec en slip rouge, de la grosse dame sud-africaine photographiée par David Chancellor arborant sur sa paire de gros seins un HIV positive avec un rayonnant sourire, de la pub pour Pink TV « No Pink / So Pink ». Peut-être à cause du cover boy en poster dans ma penderie, ou bien de la carte www.gaypodcast.fr ou encore du Têtu qui traîne sur ma table de nuit. Autant d’indices savamment disposés pour ne pas avoir à présenter cette facette de ma personnalité à ceux qui visitent l’appartement. Quoi qu’il en soit, c’est un mec bien. Vendredi soir je suis allé à Tel Aviv me baigner. Je devais me faire inscrire sur la liste de LA boîte gay de TA, le Vox. Appeler un contact filé par l’Opossum parisien. Au lieu de ça, crevé par la semaine de boulot, et après un bain mérité dans la Méditerranée, je suis allé manger au restaurant japonais avec ma collègue et des amis. Tel aviv vient après la route 344. Une heure à passer sur une route réservée aux seuls Israéliens. Descente des collines pour aller vers la mer, voir les tours de cette route vidée par shabbat. Tours, traffic lights, chaises longues et les vagues, douces, de la Méditerranée. La mer est bonne et le sable doux, je me change entre des piles de transats, un temps dérangé par un éphèbe aux rastas qui ramasse les derniers parasols de la journée. On prend notre bière sur un Ivri Lider remixé. Je répète trois fois pour faire comprendre que je cherche les toilettes. Les shiroutim. Les services. Shirout : le service, sous-entendu les bus collectifs. Shiroutim, au pluriel donc, signifie les toilettes. Il ne faut pas se tromper. Ville libre, des jeunes femmes dénudées dans les dernières chaleurs de l’été. Boire du vin blanc français en terrasse d’un Jap, dans une rue qui rassemble les éléments d’un quartier bourgeois. C’est l’image que j’ai de la Californie. Je suis à Malibu – Tel aviv.  On discute d’aliyahs, d’immigration et de la guerre du Liban de l’été, des juifs russes et de la renaissance du ballet. Un journaliste qui s’écoute parler, une jeune femme ayant démissionné dans la journée pour monter sa boîte, une graphiste, des colocs, ma collègue et moi, fatigué mais heureux. Pas de Vox ce soir, je reprends les shiroutim dans l’autre sens et remonte mes collines. Je m’endors dans le bus en écoutant 5 :55 de Charlotte G. Je me réveille au milieu du brouillard qui a tout envahi. Des juifs descendent du minibus, une asiatique hurle en hébreux et achève de me réveiller. Elle veut descendre. On est rue de Jaffa, à cause de mon sommeil je me demande si c’est bien la rue de Jaffa de Jérusalem. Le bus s’arrête et le petit chauffeur nerveux et chauve me fait comprendre qu’il faut que je déguerpisse. La rue Ben yehuda est pleine de gens en ce soir de shabbat. Il est minuit quarante-cinq. J’achète du pain noir pour le lendemain matin. Je suis heureux. Le chemin jusqu’à la porte de Damas et la rue Salah al-din est long. Je tombe sur un taxi arabe et m’engouffre dedans. On discute, habituelle discussion. Que fais-tu là ? Tu as vu la pression, les militaires. C’est Kippour, Sukhot, Ramadan. Ils bloquent la vieille ville, ils bloquent l’accès au Haram al-sharif. Et toi tu fais quoi là ? Moi je viens apprendre la langue, je débarque. J’apprends, je ne suis au courant de rien, je regarde. Vingt shekels, allez, 15 parce que c’est toi ya akhi ! C’est le prix. J’ai commencé la décoration de mon 4 pièces. Saddam Hussein en marionnette aux bras articulés gisait derrière le meuble de la télé. Je me suis dit qu’une déco aux objets kitsch s’imposait. J’ai donc acheté un fanous made in China qui gueule une horrible musique électronique, et deux supers héros. Batman et Spiderman. Il me manque Superman que j’ai vu, mais il je n’avais plus les dix shekels pour l’acheter. 1 euro 80. Ca fait bientôt quinze ans que j’ai dix ans dit Souchon à l’instant. Si tu m’crois pas, tare ta gueule à la récré ! Et on nous fait croire que le bonheur c’est d’avoir. On a soif d’idéal. J’ai acheté des grandes cartes de la West bank et de la bande de Gaza. Des cartes d’une agence de l’ONU qui montrent les check points permanents de Cisjordanie notamment. Situation qui paraît invivable, passer des heures aux contrôles, ne pas savoir quand et où les contrôles volants vont avoir lieu. Palestine. On n’a pas idée, de loin. La vie est là, partout, mais subordonnée à une mortelle pression qui tous les jours blesse et tue. Parfois je me dis que la vie parisienne est monotone. Je retrouve ici mes vieux démons, ceux d’une vie différente, ceux qui me font faire ces choix, ceux qui me font bander dans les moments magiques d’une descente sur la Mer morte en écoutant Fayruz, d’un requin vu dans les vagues, de l’appel à la prière lancé par al Aqsa, d’un prêtre copte endormi dans la cahute du Saint-Sépulcre. Je suis sensible au spirituel. Choix pourtant difficile cette année, si dur de partir après l’été. Mais je sais que c’est le bon choix. Une expérience forte, indélébile, forcément marquante, capitale. Je me pose la question de rester deux ans. Arrache-toi la chair, tue, escalade, mords. Encore Genet.

Publié dans Jour après jour

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R
Moi qui ai connu le Qalawun ''à moitié'' heureux j'ai plutot l'impression que tu es enfin heureux à 100% !  Je confonds sans doute bonheur et epanouissement personnel ;) Mais l'un ne va pas sans l'autre ;) <br /> Qu'est ce que j'ai hate de rencontrer le ''nouveau' Qalawun !!  Plus pédé qu'un phoque, mais tellement épanoui ! <br /> Kus mec ++
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