Souvenirs des terres d'Oman

Publié le par Qalawun

Devoir de mémoire oblige, je remets ici la grande majorité de mes anciens textes sur l'Oman. Au moins passeront-ils un peu plus à la postérité de cette manière :p

28 juin
C'est les vacances !
 

Aujourd'hui c'est mon dernier jour de stage. J'ai fini ma dépêche de trente pages sur les relations bilatérales entre l'Inde et l'Oman depuis 1950. J'ai dit au revoir aux fonctionnaires et aux recrutés locaux de l'Ambassade. J'ai rangé mon bureau, j'ai fait mon dernier café, j'ai encore checké ma boîte mail pour voir si j'avais un réponse pour le V.I. de Damas, je suis fatigué - couché bourré à 3h30 du matin. Dernier cocktail chez ma collègue à 17h30, pour mon départ. Aujourd'hui c'est les vacances, aux couleurs de l'été français, de l'interrogation, de la recherche d'emploi, du manque et de la charcuterie...

Vive les vacances !
 
12 juin
Al Wijaja - Salalah 1300 km
 
 

J'ai du me taper 600 km pour faire renouveler mon visa omanais. Dans l'après-midi. Impossibilité de le faire renouveler à l'administration de l'immigration à Mascate. Il a fallu que je rentre aux Emirats et re-rentre en Oman pour avoir un nouveau visa d'un mois. L'envie d'aller à Salalah ("capitale" du Sud du pays) m'a poussé à faire ça plutôt que de louper mon week-end là-bas et aller à Dubaï ce week-end. C'est pas très clair, mais c'est comme ça.

Bref, je suis fatigué.

Sinon, je veux pas faire de pub, mais mon ami et ex-coloc d'Egypte Etienne vient de me conseiller un site islamophobe: www.coranix.com . Ca fait froid dans le dos. Inutile de dire que 100% du contenu est à jeter à la poubelle. Vous apprécierez les banières de pubs en bas des pages : Laissez parler le Charles Martel qui est en vous !  

 
8 juin

Trop la classe ! Ou les Dark Vador du Quai Branly

Donc, comme je le disais précédemment, on a tenu une conférence de presse sur l'ouverture du musée du Quai Branly le 20 juin. Ma collègue et chef, Gaële, a beaucoup parlé. Normal, c'est l'attachée culturelle. Et moi, stagiaire, présenté comme historien d'art (c'est vrai ! :p) ai développé les infos sur les collections hébergées par ce musée des civilisations "non-européennes". Le tout en anglais, s'il vous plaît. Bon, le fait est qu'aujourd'hui, on est en photo dans presque dans tous les journaux. Enfin, moi je suis dans trois d'entre eux (il y a six quotidiens seulement dans le pays). Bref, voilà ma bobine à côté du blond minois de Gaële dans Tribune of Oman, The Oman Observer, et dans Oman. Je ne peux pas résister à l'envie de vous mettre l'article en lien. En tous cas, la couverture presse a été remarquable pour un événement qui, potentiellement, n'avait personne à intéresser au Sultanat. Heureusement, sur les 280 000 objets de la nouvelle collection du Quai Branly, vingt sont des objets qui proviennent d'Oman. Nous avions annoncé des "chefs-d'oeuvre", ce sont simplement des masques pour femmes bédouines. En tissu et baguettes de bois. Ce qui a fait les gros titres des journaux risquerait de les faire déchanter assez rapidement lol. Ces masques sont assez communément appelés des "becs d'oiseaux", une variante du voile traditionnel pour cacher le visage des femmes.
D'ailleurs, je m'en vais de ce pas chercher une image de cette sorte de niqab. Voilà comment quelques femmes omanaises se vêtent pour sortir dans la rue. C'est tout de même caractéristique de familles bédouines et rurales. On n'en voit pas à Mascate.


C'est assez intriguant de voir ce genre de masques. Surtout la première fois. Les femmes dans ma rue à Suhar le portent. Personnellement je trouve ça assez beau. Il faut dire que ce n'est pas moi qui les porte.

 
6 juin

Nimbas d'hier et d'aujourd'hui

Toujours dans le cadre de l'ouverture du musée du Quai Branly, je voulais mettre deux photos trouvées il n'y a pas très longtemps sur le net. Une statue-masque nimba, produite par les Baga, de Guinée. Pendant une cérémonie, on voit le masque en fonction porté par un homme. Ensuite le masque "lavé" par le musée, par la nature de chef-d'oeuvre qu'il acquiert. Nul besoin de dire qu'on a vite fait d'oublier son rôle premier. La statue-masque a été bien nettoyée. Notre goût est un Kärcher ! (j'adore les phrases à la con comme ça :p)


5 juin
Musée du Quai Branly
 

Je me suis dit qu'une petite discussion sur le concept d'"arts premiers"valait le coup. Visiblement, beaucoup de monde semble se diviser sur ce nouveau musée qui va ouvrir ses portes vers le 20 juin à Paris. Arts "primitifs", premiers, etc. Moi je trouve ça plutôt bien. J'ai l'impression qu'aujourd'hui on a tout de même réussi à sortir du concept un peu beaucoup colonialiste de "musée de curiosités des 19ème et 20ème siècles . Je suis un peu vanné aujourd'hui pour développer mes idées mais je ne manquerai pas de le faire d'ici peu. En tous cas, cela fait encore couler beaucoup d'encre...

 
2 juin
Sueurs et petits fours

Il était minuit quarante-cinq quand je suis parti du complexe hôtelier de luxe Barr Al Jissah Resort & Spa. Trois hôtels, cinq, cinq et six étoiles, perdus dans une crique au sud du palais du Sultan. La route serpente dans les montagnes, éclairée par des guirlandes de lampes au sodium, jusqu’à l’entrée bunkerisée de cet endroit où lustre et stupre font presque un. J’ai passé quelque cinq heures dans la salle de banquet du Al Bandar, à manger avec le Tout Mascate, ambassadeurs, big bosses, femmes dont l’éclat du brushing brillait autant que leur inactivité quotidienne. Différentes communautés, toutes internationales. Je suis charmé par les Belges, qui lorsqu’ils sont class, le sont jusqu’au bout. Je me suis rendu compte que j’avais une sorte d’admiration pour ces gens-là. Comme j’en ai pour beaucoup de membres de la communauté juive. Une femme en tailleur-pantalon rouge, la quarantaine, fumant, buvant, riant avec son mari fumant tout autant, à l’embonpoint des buveurs de bière. Un sourire rouge carnassier fait rire autant qu’il fait peur, trahissant l’équilibre fragile de ces expatriés, trop plein d’argent et d’ennuis. Le dîner au foie gras, crabe, truffe et vin chilien se passe entre le PDG d’une grosse boîte française d’ « huile et de gaz », par lequel je suis invité, très sympathique, et la femme, belge, d’un Belge travaillant pour un grosse boîte française qui porte le nom d’un grand canal d’Egypte. Un couple d'Anglais me fait face : Nice to meet you, Nice to meet you too... Mme Le Fur, la grande amie d’Hillary, sans doute pas Clinton. Enfin… Le dîner pour les enfants du monde en difficulté se passe, s’ensuit un groupe de ténors anglais qui chantent de la berceuse écossaise et du soap napolitain. Long, très long. Il est minuit quarante-cinq, je peux partir, rentrer sur Suhar. 250 bornes. Je remercie ce monde, salue, accepte une invitation à partir en avion militaire sur l’île paumée de Masirah, pour visiter un laboratoire d’étude des tortues marines. Je pars, même route à travers les montagnes, j’arrive sur la côte, je pousse la voiture à 130. Toutes fenêtres ouvertes puisqu’il n’y a pas la clim. Les poches d’air frais se font de plus en plus fréquentes à mesure que je traverse la province de la Batinah. Des odeurs d’Afrique parviennent dans la voiture. Boue, poil humide et animal, herbe décomposée, tout ça m’arrive au nez avec cet air frais. Personne sur la route, une ambulance qui file à 140. Je sens les stations essence avant même de les avoir vues, trahies par leur odeur de fuel. Il est 3h05, j’arrive à Suhar. Heureux et fatigué. Fatigué d’une rage de dent de sagesse. Une des quatre, qui sont toujours au fond de ma bouche, cachée sous quelques morceaux de peau, a choisi de sortir un peu plus de sa tanière. Fatigué aussi par trois dernières semaines intenses de préparation de l’exposition du Louvre à Mascate. « Trente chefs-d’œuvre de la collection de céramiques des arts de l’Islam du musée du Louvre. » J’avais décrit quelques-uns de mes problèmes dans les billets précédents. Dimanche dernier, 28 mai, encore une soirée petits fours, dîner officiel, bonsoirs-courbettes et sourires dispendieux. Vernissage, tout le monde est content, nous sommes remerciés pour tous ces efforts, un projet auquel personne n’avait cru. Les « chefs-d’œuvre » sont là dans leurs petites vitrines, avec lesquelles nous avons eu toutes les angoisses du monde. Enfin surtout moi, chargé de la réalisation et du suivi de ces putains de vitrines. Délais jamais respectés, fausses mesures, perte de clés, casse de verre, mensonges du menuisier et incompétences du maître d’ouvrage.  Cette cascade d’Omanais, où seul un de la pléthorique administration est un homme capable. Dur de travailler ici. Il faut garder son sang-froid, rester diplomate, les portes se ferment vite. C’est un gymkhana de ronds de jambe. Sombrer du côté obscur de la Force est le risque, un racisme tapi dans l’ombre guette le travailleur occidental. Il faut dire que l’environnement fait tout ici pour préparer les proies à l’attaque de ce genre de fauve malsain.

Dans un autre registre, je discute avec une des représentantes d’une grosse boîte européenne d’hélicoptères, qui m’a tenu le laïus sur la chance qui ne passe que peu de fois, celle qu’il faut saisir, les occasions qu’il faut forcer, provoquer. Laïus pas forcément creux et verbeux, mais jamais très agréable à entendre, surtout venant de gens dont la situation est totalement assurée et pérenne.

A part ces histoires de petits fours, il fait très chaud, souvent 45°C, rendant l’extraordinaire humidité encore plus lourde à supporter. Ma clim marche mal, mais c’est encore supportable. C’est plus difficile de prendre la grosse Jeep rouge la journée. L’impression de conduire un autocuiseur n’est pas forcément agréable. Surtout dans les embouteillages mascatis sous le regard dédaigneux de ces gros fainéants en Mercedes dernier modèle.

Le mois de juin risque d’être aussi chargé que le mois de mai. J’ai toujours mes deux dépêches à rédiger sur des sujets pas forcément très faciles. Plus la fête de la musique et un certain nombre d’éléments de programmation culturelle à lancer. La fin du stage approche déjà, c’est fou. Il faut toujours que je me trouve un billet Mascate-Damas entre le 30 juin et le 9 juillet. Sachant qu’il n’y a rien entre le 13 juin et le 31 juillet. Ca ne va pas être facile. L’idéal serait même de décaler mon Mascate-Paris du 9 juillet à un peu plus tard. Mais comme SyrianAir n’a pas de bureau à Mascate, ça va être mission impossible, je sens.

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1 juin
Il est plus facile...
 

J'ai toujours beaucoup aimé cette phrase de l'évangile de Matthieu :

 

Il est plus facile pour un chameau de passer par le chas d'une aiguille que pour un riche d'entrer au royaume des cieux.

 

Outre le fait qu'elle impressionne beaucoup l'assemblée lorsqu'elle est élégamment déclamée en soirée, elle est aussi très imagée. (i.e. Je l'ai donc tout de suite facilement comprise.)

 

Le film qui la reprend en titre, avec notamment Bruni-Tedeschi, Devos et Anglade, était pas mal non plus.

 

Bon, demain, c'est promis, j'écris un billet, j'ai tellement de choses à raconter.

 

Et nous devrions tous relire les évangiles...

 
 
 
14 mai
S'il eût fallu que je parlasse ourdou...
 

Et dire que je pensais qu'il n'y aurait pas de pire journée que celle d'hier. Mais il y a eu celle d'aujourd'hui. Et celle de demain est pour l'instant terriblement prometteuse. Ahh, le goût du travail, le piment des responsabilités, l'aigre-doux des relations entre hommes... 11h de taf aujourd'hui. C'était un bon 8h00 - 19h00. Sans véritable pause. J'ai aimé le moment où je me suis arraché les cheveux, où j'ai fondu sous la chaleur d'enfer qu'il fait en ce mois de mai, où je me suis mis à répéter idiotement l'Ourdou du chauffeur paki dont je ne comprenais pas un mot d'arabistanais, le moment où je n'ai pas répondu au téléphone pour ne pas m'égosiller à répéter que je ne pouvais rien faire, où j'ai couru les 25 bornes de ville dans la Jeep rouge de ma chef pour dire aux ouvriers de commencer à bosser alors qu'ils n'étaient pas encore là et que leurs responsables papotaient assis à boire le café, le moment où on nous a dit "mais surtout, ce qui est important, c'est l'espoir". Mais le pire là-dedans, c'est qu'un stagiaire comme moi n'a aucune responsabilité. Mais que, devant le fait accompli, devant la couille imprévue, devant les 500 kg de matos éparpillés moitié dans le semi-remorque, moitié dans l'herbe et moitié dans le microbus de l'ambassade que personne ne veut plus bouger sauf moi, les choix faits se transforment vite en responsabilités à porter. Bref, tout cela doit sembler très flou pour le lecteur. Mais je me comprends et, vous en conviendrez, c'est l'essentiel dans un vidage de sac. Vider son sac est d'ailleurs une pratique relativement agréable, malgré la fatigue.

Donc demain, on reprend les mêmes et on recommence. A l'exception de mon chauffeur paki -ils étaient deux d'ailleurs- qui a disparu dans la nature sans même qu'on lui signe sa facture. En tous cas, si cette expo est un succès, ce sera grâce à une volonté surhumaine portée par peu de gens, et avec un peu - beaucoup - de chance.

Bon, pour ce soir, j'hésite entre "Ivre de femmes et de Peinture" du Coréen Im Kwon-Taek ou bien quelques épisodes de Six feet under. J'avoue pencher en faveur des six pieds dessous. Non pas que l'esthétique coréenne me dérange, mais l'idée d'une soirée "poésie au Pays du Matin calme" ne m'enchante pas autant qu'une dose de sarcasme et d'humour noir à la ricaine. En parlant de poésie, ça fait longtemps que je n'ai pas mis un petit poème sur le blog, je vais essayer de remédier à ça.

 
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10 mai
In vino veritas... et j'oublierai mes déboires

Alors que vous lisez ce billet (si vous le lisez entre aujourd’hui mercredi et samedi matin) un chauffeur de camion, pakistanais, travaillant pour une compagnie saoudienne, est bloqué à la frontière entre les Emirats et Oman, au point de passage de Wijaja. Tassadouq Hussayn est arrivé ce mercredi matin à la frontière. Il est parti de Riyad il y a deux jours. Il  espérait pouvoir passer avec son chargement en Oman et nous livrer le matériel –des panneaux de bois destinés à décorer une expo avec le Louvre- vendredi matin. Hors voilà, moi, stagiaire de mon état, je n’ai été averti qu’à 16h aujourd’hui, que pour les formalités de douanes concernant une ambassade il fallait faire ce qu’on appelle une note verbale. Un papier officiel qui part d’une ambassade et va au ministère des affaires étrangères du pays pour que celui-ci informe les autorités -douanières en l'occurence- du passage d’une cargaison spéciale. J’en ai déjà fait des notes verbales, mais là, ayant appelé le poste de douane le matin, ayant faxé les documents nécessaires, je n’aurais jamais pensé qu’il en eût fallu une. Mais bon, jusqu’ici ça pourrait aller. Le vrai problème, c’est que dans ce pays, le mercredi c’est veille de week-end. Donc personne à l’ambassade à 16h pour m’écrire ma note verbale avant samedi matin, et personne au ministère omanais pour la recevoir avant… samedi matin. Ce qui veut dire que je suis responsable, au moins en partie puisque c’est moi qui traitais ce dossier, d’un minimum de 72h d’attente pour ce pauvre chauffeur pakistanais. Je n’avais jamais eu de chance avec les frontières, mais de là à en faire profiter les autres, c'est problématique. Je me souviens d’un passage de Jordanie en Syrie, venant d’Alexandrie et me dirigeant vers Beyrouth, où j’avais du attendre plus de 30 h mon visa pour traverser la Syrie. Une horreur, surtout dans la chaleur. Donc j’étais bien mal à l’aise quand j’ai eu Tassadouk au téléphone pour lui apprendre qu’il allait minimum devoir rester jusqu’à samedi midi au milieu du désert, sous la chaleur, et sans doute son seul camion pour dormir. Quelle idée d’arriver un week-end en Oman aussi. Bref, je suis bien mal, j’ai même pas pu faire de sieste et ai préféré faire des pompes et reprendre un simili entraînement de boxe thaï comme j’avais l’habitude de faire il y a… deux ans. Au moins ça m’a calmé. Dans la série problèmes de frontières, quand je suis arrivé en Oman, ils ont voulu me faire croire que mon passeport était faux. Il faut dire que les nouveaux passeports français donnent l’impression que la photo est superposée sur quelque chose, ce qui porte à croire que vous avez falsifié votre pièce d'identité. C’est arrivé à un amie venant en Syrie. Ils lui ont carrément découpé un bord de la pic au scalpel pour voir s’il n’y avait rien dessous.

En disant scalpel je pense à cette info du Monde aperçue aujourd’hui. Un homosexuel allemand, responsable de ses actes mais visiblement très dérangé selon les psychiatres, a été condamné à perpétuité pour avoir, sur demande de la victime, émasculé, éviscéré puis dégusté le malheureux. Apparemment, il l’a émasculé puis tué d’un coup de couteau dans la gorge avant de continuer son œuvre. L’intéressant dans l’histoire c’est qu’il avait d’abord été condamné à 4 ans de prison, pour plusieurs raisons, mais notamment parce que c’était une demande de meurtre. L’appel a été plus radical que le premier jugement. Et heureusement, non ? Ca fait froid dans le dos. Faut dire qu’il faut être tordu pour demander à se faire couper les couilles, éventré puis bouffé. Sur ces réflexions d’un monde bien bas, je vous laisse et m’en vais avec mes remords d’avoir un peu mal fait mon boulot.

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7 mai
Ce soir-là, je pensais lessive et soeurs Papin

Hum, dans la catégorie "jour après jour" je voudrais : le post que je veux écrire depuis des plombes et que je n'ai jamais pris le temps d'écrire. De toute façon je n'ai pas de choses captivantes à raconter. Je mets mon réveil à 7h25, me lève entre 7h35 et 7h45, file à la douche après avoir enclenché ma bouilloire électrique, je sors de la douche, verse l'eau chaude dans ma tasse avec deux cuillères de Nescafé, prépare un bol de céréales (du muesli pour changer des Kellog's Corn flakes family pack), mange le bol de céréales, fume -de temps en temps- une clope avec le café, m'habille, toujours en chemise dont je remonte consciencieusement les manches au dessus des coudes, range le lap top dans sa sacoche et pars au boulot. Environ quinze secondes plus tard j'arrive devant la porte du service culturel. Là, deux options s'offrent à moi. Enfin, disons que ce sont plutôt deux possibilités que deux options. Soit ma chèfe-collègue est déjà arrivée, auquel cas elle est déjà allée chercher les clés du bureau chez le gendarme de garde, soit c'est à moi d'aller les chercher. Je ne sais pas pourquoi, mais depuis que je suis installé sur mon lit à écrire ce billet, une odeur persistante atteint mon nez. Sans doute des particules de lessives restées sur ma main après avoir plongé ma vizirette dans le carton de lessive de ma voisine Gaële. J'ai bien patienté cinq minutes d'ailleurs, placide et statique devant le hublot de l'appareil, après avoir recherché pendant cinq autres minutes quel programme il fallait que je sélectionne pour laver mes chemises. Il fallait en fait que j'appuie sur le hublot qui était mal fermé. A l'entente du doux bruit d'arrivée d'eau dans le tambour, j'ai pu remonter chez moi et quitter le garage à machine à laver de ma voisine. Palpitant. Je me suis fait une session Soeurs Papin - Crime social. Les visions de Chabrol dans "La Cérémonie" et de Jean-Pierre Denis dans "Les Blessures assassines" divergent, et c'est normal. La Cérémonie n'est pas une adaptation de l'histoire des deus soeurs mancelles. J'ai surtout aimé le reportage fourni dans le DVD collector des Blessures, une enquête sur l'enquête judiciaire et sur ce que sont devenues les deux soeurs, la mère et le reste. Le reportage termine sur un lit d'hôpital où Léa Papin, ne pouvant plus parler, écoute la journaliste. C'est en 2000. La journaliste est un peu fatigante à ne parler qu'à voix basse, sans doute gouine aussi, mais bon, on en conclut qu'il est tout aussi intéressant que le film. Je pourrais dire que je l'ai préferé. On voit aussi que le scénario choisi pour le film adopte la version officielle de l'histoire. Hormis le jeu de Sandrine Testud, et de JM Parmentier, le film n'a pas la force de La Cérémonie. Il y a un côté huis clos, étouffant, malsain qui est tout incarné par Sandrine Bonnaire, dont l'analphabétisme renforce l'isolement. C'est marrant comme Testud, Parmentier et Bonnaire, toutes trois choisies pour jouer les bonnes, ont modifié leurs physiques pour s'adapter à ce qui est un physique de classe. Qu'est-ce que leur rudesse de corps, leur peau toute blanche et leur coupes atroces ? Une marque de leur milieu social ? Les prémisses d'une folie ? En tous cas, ces physiques ne sont pas ceux des bourgeois. Crime "de classe", crime passionnel, folie furieuse, un peu des trois. Moi j'opte pour le côté revanche sur les humiliations subies qui, dans les deux films, passent principalement par la maîtrise -ou non- de l'écrit et de la langue.  Hum, voilà, c'était ma pensée du soir. J'essaierai d'être plus pensant, dorénavant.

 
27 avril
Notre Bush à nous
 
Je viens de tomber sur cet article du Monde :

Philippe Douste-Blazy, "Mister Bluff" au Quai d'Orsay. Vous conseiller de le lire est une litote. Il est terrible de s'avouer que les frasques de notre "Mickey d'Orsay" n'ont rien à envier à celles du Président W. Bush. Le coup des juifs et de l'Angleterre est particulièrement fort. Le pire, c'est que ce mec ne parle ni l'anglais ni l'espagnol, ni rien d'autre que le français. Et, en gros, on fait comprendre à Condy Rice de le rappeler après le week-end parce que Monsieur le Ministre est seul à Toulouse un vendredi, sans traducteur, sans conseiller. Comment pourrait-il comprendre l'anglais de la Secrétaire d'Etat ? Que lui dire ? Et surtout, et c'est dit dans l'article, comment être sûr qu'il ne lui dit pas de connerie. C'est parce que le ministre, notre ministre, fait des bourdes ! Il a besoin d'une surveillance. On en regrette le Galouzeau de Villepin. Au fait, c'en est où le CPE ?

 © Le Monde.fr Je ne sais pas pourquoi je laisse ce logo du Monde. Pour voir. Ca apparaît quand on clique sur "citez cet article dans votre blog". On a un texte à copier dans l'HMTL du billet et paf ! Un logo du Monde

Petites pensées post-attentat

Me voilà de retour pour le week-end à Suhar. C'est en "travaillant" la semaine qu'on se rend compte combien un week-end est agréable. J'avais oublié, c'est pour dire !

J'ai donc commencé mon stage dans la capitale, à l'ambassade. Je n'en dirai pas trop, vu que la discrétion est de rigueur. C'est sûr, un stagiaire, ça brasse de l'info confidentielle :p Bref, le stage est intéressant puisque j'ai été affecté au service culturel. En plus, j'ai quelques synthèses à rédiger sur des sujets intéressants de relations internationales ou d'économie omanaises. Trouver des sources et des infos risque d'être un peu difficile mais ça va être sympa. Je suis logé gratuitement dans un petit studio climatisé. Il commence à faire super chaud, l'humidité devient dégoulinante. Mais je n'arrive toujours pas à m'enfermer totalement dans le studio et il faut toujours que je laisse quelques fenêtres ouvertes. L'ambassade a été dessinée par le cabinet de Jean Nouvel, il y a une quinzaine d'années. Elle est assez moche. Une sorte de patio sous une soucoupe de métal qui sert d'axe central au complexe. La soucoupe a atterri sur une claie de béton qui recouvre les bureaux. Une petite rivière coule au milieu de rochers fondus dans le béton dont la taille va décroissante au fur et à mesure qu'on rentre dans la structure. D'immenses colonnes de béton brut se penchent pour soutenir la chappe armée qui couvre le tout. Bref, c'est une merveille de cabinet.

La semaine passe vite. Je vais me débrouiller pour faire arriver le net dans mon studio, sans doute en achetant une carte prépayée chez Omantel, le seul fournisseur d'accès du pays.

J'ai été assez "remué" par les attentats de Dahab, vu que j'y suis allé passer des vacances plus de fois que je n'ai de doigts sur une main. La première fois, c'était il y a quatre ou cinq ans.  J'ai vu le village se développer petit à petit, j'ai vu l'épicerie Ghazala se transformer en superette puis en supermarché. Le truc drôle, c'est que ce supermarket est situé juste en face du poste de police de Dahab. Tout le monde venait faire ses courses ici. J'y achetais des Magnum aux amandes à 5 livres. C'était le pied, Dahab. Je n'y étais pas ce 24 avril, mais il y a quelques mois, c'aurait pu être moi. Et ces Egyptiens, éternelle chair à ceinture d'explosif. Ils vont tous dans le Sinaï pour trouver un travail meilleur qu'ailleurs en Egypte. Même si certains reviennent de Sharm en disant : "vendre de l'alcool, je ne peux plus le faire, c'est contraire à mes principes". La plupart y reste, pour gagner de quoi faire vivre la famille. Mais c'est vrai que ces endroits de la côte du Sinaï incarnent au Caire, et ailleurs en Egypte, la débauche de l'Occident. La faute aux touristes russes qui, du Caire à Damas, sont toutes prises pour des putes. A Damas, se faire demander par un chauffeur de taxi si l'on est Russe revient à recevoir une invitation à coucher (valable pour les femmes, bien entendu). C'est les vacances, c'est sûr. Ne blâmons pas ces gens venus du froid que la chaleur soudaine défeuille. Mais c'est que le péquin de Suhag, de Beni Sweif ou d'Assouan, il doit bouillir de partout en voyant sa première paire de fesses à peine recouverte d'un lycra flashy. Ces touristes, sources de tous les maux ! Non, c'est pas tout à fait vrai ; mais il faut bien comprendre les paradoxes de ce genre de villes touristiques, zones franches, de non droit, atolls au milieu de terres qui toujours se radicalisent. Les attentats qui y pénètrent rappellent l'illusion de ces petits paradis. En tous les cas, on peut compter sur le raïs Mubarak pour étouffer les bruits des bombes et toujours tenter de préserver l'extraordinaire manne touristique. C'est elle qui fait vivre son pays après l'aide américaine, le canal de Suez et l'agriculture. Je me dis qu'à part l'Irak, c'est dans ce pays musulman qu'il y a le plus d'attentats. Taba, Sharm, Le Caire dans les deux dernières années. Dahab. ALors même que ce n'est qu'un gros village. Ce n'est pas Sharm et son aéroport international et son Centre des Congrès. Ce n'est pas Taba et ses cohortes de touristes israéliens. C'est un village où les restos arrêtent la musique à l'heure de la prière pour qu'on puisse entendre le muezzin. Un village de jeunes moins friqués que les riches Russes de Sharm. Cet attentat... Brrrrrrrrrrrr ! Sans compter le vol de Flash Airlines il y a quoi ? Un an ? D'ailleurs, Douste est allé poser une plaque commémorative à Sharm, il me semble. C'eut été drôle s'il eût fallu que les bombes explosassent en sa présence...

 
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19 avril
R'un beau nocturne
 

Un soir, j'ai assis la Beauté sur mes genoux. -Et je l'ai trouvée amère.

 
Arthur Rimbaud, Une saison en enfer
 
17 avril
Vendredi ou les limbes du Pacifique
 

C'est peut-être parce que j'ai bu une bière en vitesse, et qu'elle me fait plus d'effet que ce à quoi je m'attendais, que je trouve la citation suivante assez belle (voir infra).

J'avais lu Vendredi ou les limbes du Pacifique, de Tournier, étant plus jeune. C'était un été, dans les Alpes. Un Poche avec quelques mots de ma mère à la fin. Des années après, j'ai prêté ce bouquin. On ne me l'a jamais rendu. J'en ai même oublié à qui je devais en vouloir. Enfin... Voilà la citation :

 

Tous ceux qui m'ont connu, tous sans exception me croient mort. Ma propre conviction que j'existe a contre elle l'unanimité. Quoi que je fasse, je n'empêcherai pas que dans l'esprit de la totalité des hommes, il y a l'image du cadavre de Robinson. Cela suffit - non certes à me tuer - mais à me repousser aux confins de la vie, dans un lieu suspendu entre ciel et enfers, dans les limbes, en somme... Plus près de la mort qu'aucun autre homme, je suis du même coup plus près des sources mêmes de la sexualité.

 

Ce bouquin pousse aux questions sur soi. A lire, au calme d'un été chaud.

17 avril

Face à l'Iran, le Musandam...

 
 

Je crois que je n'ai même pas expliqué dans le billet précédent pourquoi je l'avais appelé les mers d'Oman. Bon, c'est qu'en fait, pendant mes dix jours avec mon amie d'enfance et sa meilleure amie, on s'est baignés dans l'Océan indien, dans la Mer d'Oman et le Golfe arabo-persique. Ce sont les trois mers qui bordent le sultanat. Pas mal, comme la France cela dit -Manche, Atlantique, Méditerranée. Après avoir récupéré mon Tom, on s'est dirigés vers le Musandam, ce petit bout d'Oman séparé de la terre mère par les Emirats Arabes Unis. Cette enclave contrôle le détroit d'Ormuz et fait face à l'Iran, à quelque cinquante kilomètres des côtes omanaises. Ce sont les lumières du pays de Khomeyni qu'on apercevra en se couchant le soir sur une plage. Peut-être Bandar Abbas, bien que je n'ai pas vérifié sur une carte où se trouvait cette ville exactement. On traverse donc les E.A.U, Fujayra, Ras al-Khayma, pour repasser la frontière omanaise qui contrôle l'entrée du Musandam, une Norvège de fjords au bout de mon arabe de péninsule. On dort sur une petite plage avant la ville principale de la région. Une grande plage de sable fin, au bord d'une route. On se rend compte qu'on a oublié la tente à Suhar. Mais bon, on se partage le duvet, en amoureux, on dort sur nos serviettes et le wizar que j'ai acheté à Mascate. Le barbecue est réussi et on déguste nos pilons de poulet avec du martini rouge. Dla balle ! On se réveille avec le lever du soleil et on part pour Khasab, la grande ville du nord du Musandam. On fait quelques courses pour passer 48 heures sur une plage sur laquelle nous dépose un vieux petit mec. On se trouve une petite crique de sable blanc et de coraux, entourée de rochers formant falaises. On s'installe, le soleil tape mais le vent rend les brûlures moins dures, au moins pendant la journée. De Khasab à notre plage, on croise une compagnie de dauphins bossus (indo-pacific humpback dolphin). Je ne sais pas si on dit une "compagnie" pour des dauphins, je crois que ce mot ne s'applique que pour des perdreaux ou bien des mousquetaires. Ils ont une drôle de bosse près de la nageoire dorsale. Ils sont nombreux, il y en a même un qui passe sous le bateau, sorte de grosse tâche blanc-gris qui part rejoindre ses potes au devant du bateau. On demande à notre marin, Ali Sulayman, s'il y a des requins dans les fjords. Non non ! nous répond-il. Ils sont loin, vers les bancs de thons au large. On se balade sur notre terre désolée, trois chèvres se partagent les quelques acacias aux épines acérées. On monte, sous le cagnard, sur un sommet, en tongues. Plus on s'élève, plus la mer devient bleu lapis. Elle s'immisce dans la montagne, la montagne plonge en falaises abruptes jaunes et grises. Il y a très peu de sable, quelques villages aperçus au loin expliquent les mouvements des barquasses que l'on observe depuis notre QG. Tom élève une citadelle de corail pour nous protéger des assauts du sable, du vent et de la mer qui, avec la pleine lune du mois de rabi' al awwal, monte trop haut et nous oblige à reculer nos affaires. Le lendemain, je fais une sieste, je suis réveillé par les appels de Thomas. Requin ! Requin ! Je me lève illico, et ai le temps d'apercevoir une grosse forme grise dans les vagues. On monte sur des rochers pour avoir une vue plus dégagée. Après avoir scruté la mer, on en aperçoit quatre. Des pointes noires, des petits. Le plus gros, qui tourne à nos pieds comme un lion en cage, doit faire une bon mètre trente. Son aileron est taché de noir, typique de cette espèce de requins de récifs. Je prends des photos, beaucoup. Les filles reviennent de leur balade, ramenées en bateau par un pêcheur. On leur raconte, on ne veut plus trop se baigner. Le soir arrive, plus de vent mais une humidité horrible. On se couche sur nos serviettes mouillées, la nuit est rude. Le lendemain, le marin revient nous chercher et nous emmène au fond des fjords, vers une île où un ancien relais télégraphe britannique avait été monté. Un câble reliant l'Inde à l'Irak passait autrefois par là. L'île est un gros cailloux aride, sauf l'acacia au bout d'une volée de marches. On arrive dans une crique, debout sur le bateau, je vois une grosse raie qui fuit sous l'ombre que l'on fait. Large comme trois hommes, elle accélère pour aller se cacher dans un endroit plus bleu. On rentre en espérant revoir les dauphins, mais ils ne sont plus là. La route du retour est longue, retraverser les Emirats, reprendre des visas, conduire, il fait chaud.

C'est la dernière journée de Dorothée et de Carole, on va se promener dans Suhar. On borde la plage et Carole aperçoit une chose qui gesticule dans l'eau. Là, de la corniche de la ville, un serpent marin digère le poisson qu'il vient d'avaler. Son corps est déformé par son repas. ll a du mal à bouger. C'est petit, un serpent marin. Il a la queue plate pour mieux nager. C'est aussi un des plus mortels animaux du monde. Le venin des serpents marins est le plus toxique que l'on connaisse, apprends-je sur un site internet. Ils sont de la famille des cobras, ont un venin qui se classe parmi les neurotoxiques et myotoxiques et sont potentiellement les plus dangereux de tous les animaux. Les richesses marines des côtes omanaises : requins, dauphins, tortues, raies immenses, serpents mortels, tout ça se baignant allègrement dans les vagues en même temps que nous, joyeux touristes. Une chance que nous ayons pu voir ça, de nos yeux, et pas furtivement, pendant ces dix jours de vadrouille dans le pays.

Me voilà donc rentré à la maison, mes amies reparties en France, et retournant à ma routine quotidienne. Sauf que, grande nouvelle, je commence enfin mon stage samedi !

 

Toutes les photos, de mes dix jours, sont dans "d'un cap à l'autre".

 

Publié dans Jour après jour

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Y
"comme la France cela dit -Manche, Atlantique, Méditerranée"et...mer du NordPour vous, c'est vieux, mais moi, je découvre !et quelle découverte !
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