Rabin est mort, vive Rabin.

Publié le par Qalawun

Tags : Israël Yitshak Rabin Paix

Nous sommes le 4 novembre 2007. Il y a 12 ans, Yitshak Rabin était assassiné par l'extrémiste juif Ygal Amir. Tous les 4 novembre, des dizaines de milliers de personnes se réunissent sur le lieu même de son assassinat, la place de la municipalité de Tel Aviv, l'ancienne place des Rois d'Israël, devenue depuis kikar Rabin, place Rabin.

Oui aux accords de paix - Shalom Akhshav
Oui aux accords de paix!

J'arrive là un peu par hasard. Il est 14 heures quand on se lève. J'ai encore terminé ma nuit à recracher
en paroles imbuvables l'alcool ingurgité. Sans pudeur, sans ménagement pour celui qui m'écoutait, bien décidé à ne plus me frustrer, au moins dans mes mots. Peu importe, j'ai assumé le tout, je l'ai même écrit : "J'assume ce que j'ai dit hier soir". Peu importe. Quoi de mieux que de jouer franc jeu. Je disais donc que je suis arrivé sur le kikar Rabin un peu par hasard. Mon Israélien m'avait parlé il y a quelques jours d'une manif à Tel Aviv. Je n'avais pas vraiment prêté l'oreille. 14h30, petit déjeuner. On comate, seuls dans l'appartement que les découchages et escapades de fin de semaine ont vidé. Il me redemande si je veux aller à la manifestation. Je lui réponds, d'un air peu engagé :" Moui mais quelle manif ?". Je crois qu'il est un peu vexé que je n'écoute pas ce qu'il me dit en ce moment. Il me le fait remarquer. Soit. Je rassemble mes pensées, et sors un "Ah oui, Rabin". Oui pourquoi pas. Puis on pourrait aller à IKEA ensuite à Netaniah. IKEA ferme à 23 heures le samedi soir. On ferait d'une pierre deux coups. Je suis d'abord plus intéressé par aller faire des courses que d'aller poireauter des heures debout dans Tel Aviv. 

On monte en BM. Un tour de la ville, tout le monde est dans la voiture, c'est à dire lui, moi et le beau couple de lesbiennes. On mange des sandwiches préparés par l'une des mères juives. On parle. Tel Aviv, une des rues principales a été fermée. Tout le monde essaye tant bien que mal de trouver une place de parking. Je me gare sur un passage clouté. On marche, happés par la foule. Des barrières de police. Un camion équipé d'une machine à rayon X filtre les sacs suspects. Pas moins de 20 flics au barrage. Après tout, les ultra juifs sont tellement ultra qu'ils pourraient bien venir faire quelque chose de mal ici, contre tous ceux qu'ils considèrent comme des fossoyeurs de juifs. Du temps d'Oslo et de Rabin, il était montré en uniforme nazi pour le risque qu'il représentait pour les juifs. Des cercueils avec son nom gravé étaient même baladés dans les manifs anti Oslo. J'ai entendu que Bibi Netanyahu et Tzipi Livni étaient de ces terribles manifs.

Place Yitshak Rabin - Kikar Rabin

Les stands de Shalom Ahshav - Peace Now - La Paix Maintenant sont partout, à distribuer autocollants aux slogans pour la paix. "Oui à la paix, non à la violence". On n'ose plus dire, comme pour la manif contre les 40 ans de l'occupation "oui à la paix, non à l'occupation". Cette grand-messe à la mémoire de Rabin attire un public beaucoup plus large que la simple opposition d'extrême gauche israélienne. 150 000 personnes sont réunies ce soir sur le kikar. Beaucoup de jeunes qui n'avaient que 3 ou 4 ans en 1995, ce sont des scouts. Quelques familles, des couples de pédés et de lesbiennes. Quasi aucune kippa, aucune papillote. Une scène géante est posée au pied de l'immeuble de la mairie. Des banderolles, des ballons, des mongolfières, et du monde, du monde, du monde. Un présentateur tv anime la soirée, connu pour avoir appris la mort de son fils dans un attentat suicide lors d'un journal qu'il présentait. Shimon Peres, le président israélien, vient à la tribune. La paix et la sécurité. Ehud Barak, le ministre de la Défense d'Israël, militaire le plus gradé du pays. Lui qui veut une opération d'envergure à Gaza. Lui qui dirige l'armée. Il vient promouvoir la paix, soutenir la conférence d'Annapolis. Mais passons. Il est aussi le chef du parti travailliste. Cela devient plus problématique avec le passage d'Uri Lupolianski, le maire ultra-orthodoxe de Jérusalem, père de douze enfants, longue barbe grise et kippa noire. La paix, la sécurité. "Lui qui a porté la Torah du mont Sinaï au mont des Oliviers" dit-il à propos de Rabin, évoquant les conquêtes de l'Etat juif. Il est hué par ma voisine de derrière. Mais il est applaudi par une partie de la foule. C'est étrange. Cette grande commémoration, celle de l'assassinat d'un prix Nobel de la paix, cette dénonciation de la violence et de l'injustice, par des gens qui l'ordonnent - Ehud Barak - la mette en pratique - Lupolianski - la taisent et l'oublient - les quelques dizaines de milliers de personnes réunies ici.

Place Rabin, Tel Aviv, Kikar Rabin
Je n'arrive pas trop à comprendre ce qui réunit ces gens ici. 150 000 personnes. Le souvenir d'un grand homme ? Militaire et Prix Nobel de la Paix ? L'idée de promouvoir la paix avec les Palestiniens ? La tradition ? Désormais établie depuis 12 ans et le souvenir d'un voeu pieux. Que serait Israël aujourd'hui si Rabin n'avait pas été assassiné me demande mon Israélien ? Avec des si... Il me remercie d'être venu, c'est visiblement très important pour lui. A la fin, la minute de silence pour Rabin. Silence absolu. 150 000 personnes silencieuses, et la chanson de la paix - Shir laShalom. J'ai l'impression que tout cela n'est qu'une mascarade. L'impératif sécuritaire est répété par tous les intervenants. Sauf Yuval Rabin, le fils de Yitshak. La paix c'est beau, c'est bien, mais il faut en payer le prix. En fin de compte, je n'ai vraiment pas compris pourquoi tous ces gens se réunissent ici. On est passé dans la fête nationale qui ne signifie plus rien plutôt que dans la manifestation d'idées. Un peu comme le 14 juillet chez nous. Sauf que là, ça ne fait que 12 ans et on semble loin, très loin des idées promues par le Nobel de la paix.

Kikar Rabin, manifestation
Ma voisine de derrière, celle qui a hué Lupolianski, m'interpelle quand elle apprend que j'ai pris la route 443 pour venir de Jérusalem à Tel Aviv. Cette route passe par les Territoires Palestiniens, est de facto interdites aux Palestiniens, et permet d'éviter les longs virages de la route historique No 1. Quoi ? Tu as pris la route de l'Apartheid me dit-elle ? Avec mon père on refuse de la prendre. Voilà une Israélienne que je découvre enfin logique. Je lui dit que si on ne doit plus emprunter les routes interdites aux Palestiniens, par solidarité et engagement, alors on ne peut plus aller bien loin, pas à la mer Morte par exemple. Cette fille, c'est la nageuse allemande dont j'avais déjà parlé.

La minute de silence et la chanson pour la paix 

Je fais le plein d'autocollants avec des slogans pour la paix. Je suis rassuré et déçu par cette manifestation. Elle a provoqué chez moi un élan de sympathie pour ce peuple, réuni pour se souvenir d'un homme qui a, à un moment de sa vie, fait le bien. Cette foule réunie pour dire qu'elle croit à la paix. Déçu car je n'ai vu que des ados dans cette foule. Des ados qui ne sont pas encore passé par le moule terrible de l'armée. Des ados qui ont bien le temps de changer. Des gens qui n'avaient rien à redire de l'apparation de Lupolianski. Une foule silencieuse qui ne fait rien pour mettre en pratique les idéaux que ce soir là ils sont venus défendre.

Place Yitshak Rabin, Tel Aviv
Pendant ce temps là, à Jérusalem, place de Sion - kikar Zion, des extrémistes juifs s'apprêtent à célébrer la circision - brit mila - du fils de Yigal Amir, l'assassin de Rabin. Une femme a eu un fils avec lui, conçu en prison. Elle a choisi de le faire circoncir le jour de l'assassinat de Rabin. Pied-de-nez malfaisant. Yigal Amir, mauvais juif, dira Yuval Rabin pendant son discours. L'extrême droite israélienne milite pour la réduction de sa peine. Il a été condamné à la prison à perpétuité et n'a jamais émis le moindre regret.

Publié dans Jour après jour

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