L'hospice autrichien de Jérusalem, un soir de concert

Publié le par Qalawun

Je pousse les lourdes portes de bois de l'hospice autrichien. Les quelques marches qui y montent sont généralement encombrées de quatre ou cinq soldats israéliens. Là, il est trop tard. La Vieille Ville a été laissée à ses habitants. Une boutique de la rue al wad ferme déjà ses portes. L'épicier d'en face rentre ses portants dans sa boutique, nichée sous une imposante mosquée. D'un coup, la porte passée de l'hospice, coupés du monde. L'escalier de pierre est subitement un peu sombre. Une vierge pataude nous accueille en haut de la première volée de marche. L'été dernier, ils ont enlevé les magnifiques faïences des murs de l'entrée pour ne laisser que la pierre apparente, grossière et  froide. Je n'ai jamais compris pourquoi. Ils ont même remplacé une vierge gracile du XIXème en stuc blanc par une matrone indélicate et maladroite façon sainte Foix de Conques en marbre veiné sortie tout droit de l'atelier du coin. Tout change à Jérusalem, même l'escalier de l'hospice autrichien.

Quel beau cactus ! dit celui qui m'accompagne. J'aime les plantes mais je n'ai pas la main verte. Je laisse ce plaisir aux jeunes couples et aux quinqua babas. Les jardins sont verts, petites tables de fonte et de céramique groupées sous les palmiers. Une vieille hiérosolymitaine grimpe péniblement les dernières marches qui mènent au hall d'entrée. Kapelle à droite, Kafeteria à gauche. Le salon de musique est au premier. Que d'escaliers ! Nous refusons d'emprunter l'ascenseur bruyant et qui frôle le vétuste. Un, deux, + 3 et nous voilà sur le toît avec vue imprenable sur le dôme du Rocher, la vieille ville et ses colonies juives. Et la mosquée d'à côté. Il fait froid ce soir à Jérusalem et l'air cristallin est ici comme nulle par ailleurs. Là, derrière le dôme d'or, se profile la ligne grise des montagnes jordanienne. Je me souviens avoir cherché en vain les tours de Jérusalem une après-midi d'avril au mont Nébo, il y a trois ou quatre ans. C'était ma première visite en Jordanie. Jérusalem alors m'intriguait. C'est ici que Moïse avait découvert la terre promise. A vol d'oiseau, c'est moins de cent kilomètres.

Descendons, c'est l'heure. Il est 19h00 et le concert des époux pianistes doit commencer. Je me dis que la rigueur transalpine ne transigera pas sur l'heure prévue. Que des oeuvres à quatre mains pour ce soir. Mozart, Brahms, Satie et Ravel. Un bon choix, si ce n'est pour le Mozart, toujours trop convenu. Sans doute fallait-il faire honneur à la vénérable institution hôte du concert. Les marches blanches nous mènent au premier étage, dalles bicolores noires et blanches, voûtes sous croisées d'ogives. Le salon de musique a la taille d'un grand salon d'appartement bourgeois parisien. Mais c'est une merveille de décoration. Un décor couvrant vert, or et pourpre du XIXème qui s'étale sur les murs et les trois voûtes du plafond. Une perspective ouverte sur la voute centrale nous emmène vers un ciel où flotte une Eutherpe un peu hiératique. Les armes du pape aux trois couronnes, celles de l'Autriche. C'est un peu apfelstrudel et bavarois mais finalement d'un goût exquis pour Jérusalem. Le kitsch s'appelle souvent du luxe dans nos contrées. C'est un autre monde qui vit dans la coquille de ce salon de musique autrichien. Le piano à queue est là, en acajou, avec nos amis pianistes à quatre mains, saluant.

Discours. Mozart. Brahms, danse hongroise N°1, une merveille. Un téléphone sonne. Les têtes énervées des mélomanes de ce mardi soir se dévissent pour trouver le coupable. Le bruit s'éteint une fois le portable rangé. Mais un autre fauteur de trouble fait d'un coup remuer l'assemblée au milieu de la danse N°3. Allah Akbar! Le muezzin de la mosquée d'à côté chante sous nos fenêtres. La salle souffle, des bruits de machoires détendues prêtes à s'agiter. Nos pianistes s'arrêtent à la fin du morceau et, de bon coeur, tout le monde rit au salon, principalement en allemand. On attenda la fin du rameutement à la mosquée. Bla bla bla, Jérusalem mouchoir de poche, l'Orient surprenant. Scène de roman que ces Viennois tout ébaubis de l'Allah Akbar au milieu d'un Brahms. Satie, joli, parfois grave et ombragé pour morceaux en forme de poire. Un programme sympathique malgré la sonate de Mozart. Rappel. Dvorak, danse slave. Décidement, c'est l'Est, ce soir. Il fait terriblement chaud. On sort après le second rappel. Il est temps de filer par la rue el wad et d'aller trouver une place au restaurant du Jerusalem Hotel. Le vent froid s'engouffre dans ce corridor, de nuit, peu sympathique.

La ville est sombre . Une bouteille de plastique roule à mes pieds, jetée par un bonhomme au regard noir. Il doit sentir le falafel, à moitié vautré dans un chariot à brochettes et pitas de la porte de Damas. Au restaurant, il y a de la place sous la treille. J'y fume une shisha avant de rentrer nous coucher. On parle de Jordanie. J'écris sans me relire.

Publié dans Jour après jour

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