Bol d'air

Publié le par Qalawun

Il fait un temps de début d'hiver. Hier dans la nuit, vers 3 heures, un gros orage a lavé l'air. Cet après-midi - je ne mets le nez dehors qu'à 16 heures, il y avait des gros nuages sur fond de ciel bleu, très bas. Le soleil qui se couche en éclaire quelques uns. Le mont Scopus est dans la brume. Le mont des Oliviers sous le soleil. Wadi-l-Joz, le fond de la vallée dans laquelle j'habite, est tout crasseux des pluies torrentielles de la nuit. C'est un quartier de garagistes. Les huiles noires se mélangent aux eaux débordantes de la rivière qui n'existe qu'à la faveur de ces pluies soudaines et violentes. J'aurais bien aimé qu'elle emporte les quelques mobil homes des colons du coin. Même dans Jérusalem-Est il y a des colons. Surtout dans Jérusalem-Est. Wadi-l-Joz accueille la tombe de je ne sais quel patriarche ou saint juif.


On répare mon pneu. Il faudra changer les deux me dit-on en me montrant une grande rainure dans le caoutchouc. Je fais la moue en disant au garagiste que j'irai à Ramallah les faire changer "C'est moins cher là-bas !". Il réfléchit, se tourne vers son père qui écoute la conversation du fond de sa boutique. 550 shekels pour mes deux pneux arrières. 100 euros. Je vais réfléchir.


Je sors avec mon pneu réparé et ma roue de secours regonflée. Me voilà dans l'épicerie du coin. La superette Abou Zahra, qui surnage au dessus des grandes flaques sombres du carrfour. C'est la deuxième fois que j'y vais. Une sorte d'immense couloir où s'entassent les boites de conserve, les paquets de céréales, les saucisses recomposées de boeuf ou de dinde et les produits d'entretien. Il y a aussi le stand des chips et des produits laitiers. Grosso modo, aucun produit frais. La superette Abou Zahra est tenue par des musulmans pratiquants. Un des caissiers a une immense barbe noire. Les clients, très nombreux, rentrent tous en claquant un magnifique as salam alaykum. Auquel mon caissier barbu ne manque pas de répondre. Il ajoutera même aux nombreux al hamdulillah qu'il prononce la fameuse et très coranique suite rabb al alamayn ! Une petite femme déambule entre les rayons, expliquant de manière autoritaire à un autre barbu où se rangent les produits. Cette quinqua voilée s'affaire entre les clients, veille à ce que toutes les éponges, les paquets de PQ, les bouteilles de clorox soient tous à leur place. Le barbu semble être un nouvel employé. Il y a beaucoup de monde ici. C'est un commerce qui marche. Les caissiers comptent à haute voix, comme pour montrer qu'ils ne tromperont pas le client. Je m'en sors pour 75 shekels. Il me donne un paquet de faux Bounty en me disant "Tiens, c'est cadeau". Ils savent y faire avec la clientèle. Faudra-t-il que je retourne dans l'autre épicerie, qui n'est pas tenu par des musulmans si pratiquants, un peu plus léchée, un peu plus chère aussi ? Non, j'irai désormais à Abou Zahra. Quitte à penser que je subventionne le Hamas ? Quoi ? Pourquoi ? C'est parce que les caissiers ont des grandes barbes noires et que tout le monde dit as salam alaykum wa rahmatu allah wa barakato que la supérette Abou Zahra est un fief du Hamas ? Nenni ! Mais sans doute. De toute façon, le Hamas n'a pas d'élus à Jérusalem, et ces gens ne peuvent être que des sympathisants. Questionnement stérile. Je préfère aller ici qu'ailleurs.

Hier, nous étions à Saint-Jean-d'Acre manger des calamars frits. Du haut des murailles on regardait Haifa, ses bateaux, ses usines. On se serait baignés ce premier décembre si le soleil n'avait pas décidé d'un coup de disparaitre aussi vite. On se serait baigné si la plage où l'on s'est posé n'avait pas été aussi sale. Je dors dans la mégane. Il fait nuit. Haifa, comme les autres, est tout embouteillée. German Colony, suite de bars et de restaurants chics au pied des jardins Bahai. Le Fattoush tenu par des arabes. Tout à fait le genre de bars que l'on aime. Entre le salon de thé cosy et le restaurant lounge. Je parle hébreu au lieu de leur parler arabe. Ma colocataire me reprend. Pour une fois que ce genre d'endroit est tenu par des Palestiniens. C'est superbe, calme. Fauteuils en bois, coussins colorés, paravents en bois ajourés, un indian tea au lait à la cannelle et deux plats de délicieuses knaffeh, une pâtisserie de cheveux d'ange sur un fromage doux cuits dans du miel. Les jardins Bahai sont une sorte de disneyland, lieu de culte d'une secte étrange échouée là, comme tant d'autres choses.


 
La route, je m'endors. Réveillé de temps en temps par notre talkie-walkie. Les embouteillages, la 443, les check points et Jérusalem. On a perdu 5 degrés. Jérusalem et ses bigots du quartier de Sanhedrya, du nom de l'ancien conseil juif. Femmes aux jupes longues et noires, foulards ou perruques sur la tête, enfants par tripotées, redingotes des hommes et chapeaux noirs, streimels, poils et peot. Jérusalem froide, croyante, pressée car ces gens sont toujours pressés, introvertie, croissante, cisaillée, embouteillée, haineuse, plus vraiment miraculeuse mais singulière, protéiforme et multiple. Cette nuit à Nazareth et cette journée à Acre m'avaient fait du bien. Un bol d'air. Aujourd'hui, un dimanche, j'avais besoin de rester chez moi.

Acre-040.jpg

Publié dans Jour après jour

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article